Depuis le temps que la loi Internet et Création n’est à l’état que de projet, on ne peut que se réjouir de voir les débats commencer. Le projet est entre les mains du Sénat qui débat en ce moment même des enjeux de la loi. Point par point, confrontons les avis de chacun :
LA COUPURE COMME MOYEN DE REPRESSION
Projet du Ministère de la Culture : Le pirate présumé reçoit un 1er avertissement par mail. En cas de récidive, un courrier recommandé lui est adressé. 2ème récidive : la connexion à internet est coupée de 3 mois à un an. C’est le degré le plus répressif du principe dit de « riposte graduée ».
Débat : Coût et complexité des moyens techniques à mettre en oeuvre pour couper internet sans pour autant couper le téléphone et la TV des abonnés au Triple Play (Internet + TV + Téléphone)
Avis du Sénat : En lieu et place de la coupure jugée trop coûteuse et complexe, la Commission des Affaires Economiques propose une amende + ou – élevée selon la gravité du piratage. Le sénateur Bruno Retailleau a déclaré : « Vous avez des zones où vous ne parviendrez pas à faire le tri entre les services télévision, téléphone fixe et internet, donc la suspension c’est discriminatoire ». Avantages de l’amende : C’est plus lucratif pour la filière musicale et cela préserve la liberté des citoyens. La Commission des Affaires Culturelles a, elle, voté POUR la suspension de l’abonnement internet…
Réponse de Christine Albanel (Ministre de la Culture) : Le principe de l’amende renforce les inégalités entre ceux qui ont les moyens de payer et les autres.
LA RESPONSABILITÉ DU TITULAIRE DE LA CONNEXION
Projet du Ministère de la Culture : La riposte graduée vise le titulaire de la ligne internet utilisée pour télécharger illégalement.
Débat : Dans une famille, si c’est un des enfants qui télécharge, toute la famille sera privée de connexion. Idem pour un groupe de colocataires, idem si le petit-fils télécharge chez ses grands-parents qui sont largement dépassés par l’aspect technique de la chose. Pire, si un voisin malveillant utilise votre connexion Wifi pour télécharger sa musique ou ses films illégalement, c’est vous qui êtes responsable !! Pour le Ministère, le mail et le courrier recommandé d’avertissement sont là pour prévenir le titulaire de la connexion. Ce dernier est censé avoir sécurisé son PC et l’accès à internet.
Avis du Sénat : La sécurisation d’un PC n’est pas si simple que cela… Le Sénat aimerait donc que les FAI fournissent à leurs abonnés des logiciels référencés par l’Hadopi. L’abonné mis en cause par l’Hadopi malgré l’installation des dits-logiciels pourra être dégagé de toute responsabilité.
LE FILTRAGE DES RESEAUX
Projet du Ministère de la Culture : Sur demande d’un tribunal saisi par un ayant-droits, les Fournisseurs d’Accès à Internet (FAI) auraient l’obligation de filtrer ou suspendre l’accès aux contenus incriminés.
Débat : Les FAI se sont toujours prononcés contre ce principe. Les fournisseurs doivent rester neutres; ils n’ont pas à filtrer internet. Ce type de « filtage a posteriori » est prévu dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) pour couper l’accès à des contenus pédo-pornographiques ou pro-ana par exemple. Mais dans le cadre de la loi Hadopi, ce filtrage est au service d’une catégorie professionnelle précise : les ayant-droits. D’autres catégories pourraient alors légitimement réclamer un filtrage qui leur serait dédié.
Avis du Sénat : La Commission des Affaires Economiques considère ce dispositif trop coûteux, intrusif et pas très efficace. Quant à la Commission des Affaires Culturelles, elle ne veut pas entendre parler de notion de filtrage. Le Sénat défend ainsi les arguments des FAI.
LA MISSION DE LA HAUTE AUTORITÉ POUR LA DIFFUSION DES OEUVRES ET LA PROTECTION DES DROITS SUR INTERNET (HADOPI)
Projet du Ministère de la Culture : L’Hadopi est l’autorité administrative qui gérera le processus de « riposte graduée » : mail d’avertissement, courrier,…
Débat : L’Hadopi se substitue à l’autorité judiciare. C’est une volonté du Gouvernement qui souhaite ainsi affranchir les procédures des lourdeurs administratives. Les eurodéputés se sont récemment prononcés contre ce court-circuit de la Justice déclarant « qu’aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire »
LA CONTREPARTIE
Projet du Ministère de la Culture : En réponse à ces moyens de prévention et de répression, l’Etat doit inciter les ayant-droits à sérieusement développer l’offre de contenus légaux (musique, cinéma, séries,…). Les DRM (Digital Right Management) qui limitent l’utilisation des fichiers musicaux légalement téléchargés doivent disparaître dans l’année qui suit le vote de la loi.
Débat : la loi doit-elle obliger ou inciter les ayant-droits à développer et améliorer leurs offres ?
L’avis du Sénat : l’Hadopi pourrait créer un label facultatif qui pemettrait de distinguer les bons sites de téléchargement. La Commission des Affaires Culturelles aimerait d’autre part une révision de la chronologie des médias. Aujourd’hui, un film n’est disponible en VoD (Vidéo à la demande) qu’un mois et demi après sa sortie en DVD ou Blu-ray. Pour limiter le piratage, le Sénat voudrait que les sorties DVD et VoD soient simultanées.
Pour en savoir plus :
Dossier de 01net.com (6 min de lecture) / Technaute (3 min de lecture) / lexpansion.com (1 min de lecture)