BILLET D’HUMEUR…
Nicolas Sarkozy vient de le confirmer. En mars sera votée la loi Internet et Création, censée lutter contre le téléchargement illégal de biens culturels. « Le piratage détruit massivement la musique et le cinéma (…) je ne laisserai pas piller les droits d’auteurs, parce que derrière les droits d’auteurs, derrière la protection de ces droits, il y a tout le processus de la création « (…) a déclaré le Président.
Mon Dieu, je suis las d’entendre de tels propos. La loi sera votée. Soit. Elle défendra parfaitement les intérets des majors qui, on le voit bien, ont quasiment dicté le texte. Les Maisons de disques, incapables d’imaginer que le monopole de la production et de l’édition puisse leur échapper, ne tolèrent pas que les droits d’auteurs aillent un peu plus… aux auteurs. Elles ne tolèrent pas non plus que les usages de leur vaches à lait, j’ai nommé les consommateurs, se modifient à la faveur du talent qui n’attend plus nécessairement une Major pour se révéler.
Les Maisons de disques et les Majors du cinéma déclarent que le téléchargement des fichiers musicaux et vidéos représentent des milliards de manque à gagner pour les industries culturelles. Elles assènent régulièrement aux internautes et consommateurs les milliards d’euros que les pirates volent en téléchargeant gratuitement sur le Net. Les chiffres annoncés par l’industrie sont d’une opacité et d’une malhonnêteté exemplaires. Elle mélange tout, histoire de culpabiliser l’opinion publique : ceux qui téléchargent pour ne pas payer, ceux qui téléchargent pour essayer avant d’acheter, ceux qui téléchargent parce que c’est le seul moyen de profiter d’un bien culturel absents du monde physique, ceux qui téléchargent parce qu’ils n’ont pas accès aux biens légaux,… Tous ces téléchargements sont loin de représenter un manque à gagner. En effet, comment peut-on honnêtement mettre dans le même panier :
Un parisien qui télécharge Harry Potter, alors en salle, pour ensuite acheter le DVD. Un parisien qui télécharge Harry Potter parce qu’il n’a pas 10€ à mettre dans une séance ciné ou 20€ dans un DVD. Un coréen qui télécharge Harry Potter parce que c’est la seule manière qu’il aura d’accéder au film, etc, etc. Dans tous ces exemples, il n’y a aucun manque à gagner pour les Majors ou si peu… Sans compter que les ados, réputés pour être de gros « téléchargeurs », sont aussi de gros consommateurs, plusieurs études l’ont prouvé aux Etats-Unis, au Canada et en Europe ! Les Maisons de disques n’auraient-elles pas été dépassées par des changements d’usages qu’elles auraient plus ou moins volontairement ignorés ? Les générations actuelles ont une culture sensiblement différente de celle de leurs parents : les internautes essaient avant d’acheter. Et c’est vrai pour un logiciel comme pour la musique ou le cinéma ! l’industrie du logiciel l’a bien compris, et depuis longtemps tous les éditeurs proposent gratuitement une version « Lite » ou bien « à l’essai » de leurs produits. Les millenials (ceux qui sont nés avec internet) sont des zappeurs, à la recherche du plus grand nombre d’émotions et d’expériences… et les maisons de disques tentent de les entraîner dans l’écoute d’albums sans fin où 9 morceaux sur 12 sont de pâles resucées des 3 tubes en puissance du CD. Les plus jeunes sont capables de dépenser beaucoup pour leurs idoles (albums en série limitée, concerts, t-shirts, sonneries de téléphone,…) mais n’acceptent pas de payer 9 chansons sans intéret pour pouvoir profiter des 3 morceaux qu’ils recherchent. D’où une montée en puissance des ventes de morceaux uniques au détriment d’albums décevants dans leur globalité. Ils n’acceptent pas non plus de payer 20€ un album de Madonna vieux de 20 ans…
« je n’ai pas été élu pour laisser voler au supermarché « . A qu’elle est belle et provocante la phrase de Sarko ! J’adore les jugement à l’emporte-pièce… Le vol en supermarché. Parlons-en. Un homme rentre chez Carrefour, il vole une chemise parce qu’il n’a pas les moyens de la payer. Résultat : perte sèche pour Carrefour. C’est ce qu’on appelle la démarque inconnue (qui englobe aussi la destruction de marchandise mais je ne suis pas marketeur). Cette démarque inconnue est un facteur assez précisément évalué par la Grande distribution. En 2004, en Europe, son taux représentait 1,34% du chiffre d’affaire toutes enseignes confondues (source Checkpoint Systems). La même année, des chercheurs américains ont évalué le taux de démarque inconnue pour l’industrie musicale à… 1% démontrant du même coup que les échanges de fichiers musicaux sur les réseaux Peer to Peer (P2P) sont d’une part inférieurs à ceux de la grande distribution et n’ont d’autre part qu’un effet limité sur les ventes de musique dans le monde. Selon eux, et c’est là la différence avec le supermarché de M. Sarkozy, la grande majorité des internautes qui téléchargent « (…) sont principalement des individus qui n’auraient pas acheté l’album, même si les systèmes d’échange n’existaient pas ». Si à cela on ajoute l’internaute qui télécharge en guise de pré-écoute avant achat (voir plus haut), on est loin, très loin du voleur de supermarché et des conséquences de son acte sur le chiffre d’affaire du magasin. C’est tout simplement incomparable… mais tout mélanger c’est facile et ça permet de gonfler significativement les chiffres… car pour les industries musicale et cinématographique, chaque téléchargement illicite est un vol. Nicolas Sarkozy ne fait que reprendre le discours erroné et ultra-orienté des majors de la musique et du cinéma dont l’obsession est de protéger leur rôle d’intermédiaire : mesdames et messieurs les internautes, chers clientes, chers clients, vous êtes des voleurs et des pirates ! Mesdames et messieurs, le peer to peer est illégal. Faux, 3 fois faux ! Comment les majors ont-elles pu imaginer pouvoir être aussi provocantes et agressives sans que cela n’ait de conséquences sur leurs relations avec le consommateur et les artistes. Comment les Majors ont-elles pu imaginer qu’elles pourraient se réserver le monopole de la distribution de biens culturels sur le Net et imposer au monde dématérialisé toute l’arrogance de leur modèle économique ? Et voilà Nicolas Sarkozy qui en remet une couche !
Par contre, les majors ne s’expriment rarement jamais à propos des marges réalisées sur les ventes légales de fichiers numériques (album, single, sonneries de téléphone,…) ! Certes, en chiffre d’affaire, la baisse des ventes de CD n’est pas compensée par l’augmentation des ventes dématérialisées mais quid des marges ? dans la vente numérique : pas de boîtier, pas de pressage, pas de galette sérigraphiée, pas d’acheminement vers le distributeur, pas de réédition, pas d’impression de livret, pas d’emballage,… pas d’exportation de volumes de CD, pas de problème de distribution à l’étranger (Daft Punk n’a pas besoin d’être physiquement présent chez Wall Mart pour être vendu aux Etats-Unis), etc. Sur internet, les leviers promotionnels, gratuits pour la plupart, sont d’une puissance extraordinaire : les blogs, forums, réseaux sociaux, sites spécialisés, plateformes de téléchargement légales, etc, sont des relais puissants qui peuvent faire vendre des morceaux par milliers sur toute la planète en quelques clics ! Ce phénomène démultiplicateur sera d’autant plus efficace si les Majors acceptent de partager les revenus avec ces nouveaux intermédiaires : C’est peut-être ce qui est en train d’arriver avec des services comme Zaploop.com qui permet aux internautes de proposer sur leur blog, leur site ou leur profil (MySpace,…) une playlist d’artistes dont ils sont fans et d’en proposer l’achat. Sur chaque vente, l’internaute touche une commission de 25% ! Une révolution dans l’état d’esprit des Majors !
Ayons une vision positive des combats d’arrière-garde (DRM, monopole de la production, marges indécentes,…) de l’industrie culturelle. Elle est à la recherche d’un nouveau modèle économique. Mais tout comme Tarzan ne peut pas lâcher une liane avant d’en avoir une nouvelle en main, les Majors s’accrochent à leur modèle ancestral reposant sur l’ultra-rémunérateur et confortable copyright avant de saisir celui qui révolutionnera leur business model.